Interview de Thierry Mauvernay sur la philanthropie familiale

Johanna Colas

Mardi 12 septembre, Thierry Mauvernay, Président de Debiopharm et de notre fondation, est intervenu à l’IMD sur le thème Philanthropie familiale : Défis et apprentissages dans un monde en crise.

A travers une interview menée par Martial Paris (WISE), il est revenu sur l’histoire de la Chaire Debiopharm créée en 2016 et nous a évoqué ses débuts.

MP : Pourquoi avoir créé la Chaire Debiopharm de philanthropie familiale de l’IMD ?

TM : La philanthropie m’a toujours intéressée. Ma femme Nadine et moi avons toujours pensé que nous avions beaucoup de chance et qu’il fallait la partager, mais de manière plus professionnelle, plus constante et pas uniquement sur des coups de cœur. C’est ainsi que nous avons fait une de nos premières actions : parrainer des enfants dans « Aide et Action ». A nos yeux, les bonnes intentions et un sac à dos ne sont pas suffisants, il fallait un autre sens, mettre autant de professionnalisme (voire plus) dans la philanthropie que dans son activité professionnelle.

Un jour, je suivais un cours à l’IMD avec mon fils Cédric sur le Family office et j’ai demandé aux participants s’ils s’investissaient dans la philanthropie. Presque tous m’ont répondu oui, j’ai alors demandé comment ? Et la majorité m’ont répondu « en fonction des coups de cœur : un tsunami, un tremblement de terre, etc. ».

Or très souvent, dans ces cas-là, beaucoup d’argent est levé, mais peu arrive dans les bonnes poches. On dit que pour le tremblement de terre qui a secoué Haïti, seulement 5% des sommes sont arrivées à destination. Cela, ma femme et moi ne le supportons plus. Aussi, lorsque l’occasion a été donnée, en 2016, avec Dominique Turpin, Président à l’époque de l’IMD, nous avons créé cette chaire pour former les donateurs.

Donner c’est magnifique, mais cela peut être contre-productif si ça ne s’inscrit pas de manière professionnelle et dans la durée. 

MP : Quel regard portez-vous sur l’évolution des domaines couverts par la Fondation philanthropique Next depuis sa création il y a plus de 10 ans ?

TM : Ce que nous avons essayé de faire, c’est d’être le plus ouvert et le plus disponible possible en fonction des besoins, tout en maintenant un cadre. C’est l’IMPACT qui nous guide, mais dans un cadre bien défini.

Nous avons ici nos 4 grands axes :

  1. Sortir des personnes de la grande pauvreté, passer de la survie à la vie, notamment grâce à l’entrepreneuriat ou microentreprises (Mekong Plus, The clothing bank, etc.)
  2. L’éducation et la formation (ex : Démarche, Radio Begum, etc.)
  3. L’autisme (ex : ASR, Fondation CHUV, La Source, etc.)
  4. Et depuis peu l’aide humanitaire (ex : Terre des hommes, Mère Sofia, etc.)

Nous ne pouvons pas être insensibles à ce besoin d’aide. Nous devons nous adapter aux situations, agir vite, garder cette idée d’impact et avoir si possible un effet de levier en motivant d’autres donateurs.

Les besoins sont énormes et il n’y aura jamais assez d’argent pour les couvrir tous, ce qui  nous amène à faire des choix très difficiles et à nous limiter. Nous ne pouvons pas tout faire, ce qui ne nous empêche pas d’avoir des coups de cœurs pour aider et participer à certains projets.

S’engager aujourd’hui comme entrepreneur, Thierry Mauvernay (Président de Debiopharm et de la Fondation Philanthropique Next) interviewé par Martial Paris (WISE – conseillers en philanthropie). © Olivier Vogelsang / IMD

MP : Vous mentionnez beaucoup la notion d’impact dans une approche philanthropique professionnelle, est-ce que vous auriez deux exemples concrets à donner ?

TM : Oui, je peux volontiers donner quelques exemples, même si c’est un peu réducteur :

  • Mékong Plus : nous essayons de faire passer le revenu des personnes de $ 0,50 à $ 1,40 par jour en 3 ou 4 ans. Cela passe par l’achat de 30 à 40 poules pour faire de l’élevage, puis un poulailler, ce qui amènera à la vente des œufs et, ainsi, passer de la survie à vie. Du « Que manger ce soir » au « projet de la semaine ».
  • The Clothing bank, Camfed : grâce au nano crédit, il devient possible de lancer sa petite entreprise. 95% de femmes y ont recourt dans le but de gagner suffisamment pour élever leurs enfants.
  • Ou localement, par exemple le projet avec la Fondation CHUV : le projet vise à assurer un accompagnement personnalisé pour les personnes avec TSA ou handicap mental, projet qui sera répliqué dans les deux autres hôpitaux cantonaux (on vise plus de 500 patients par an).

MP : Par rapport aux besoins dans le monde (réchauffement climatique, grande pauvreté, etc…), est-ce que vous n’avez pas tenté de baisser les bras car la philanthropie, même si elle se professionnalise, ne pourra pas résoudre tous les problèmes ?

TM : Il ne faut jamais baisser les bras, il est trop facile de choisir la facilité, de penser que notre action sera trop petite et insignifiante et n’aura pas d’effets. Il faut continuer et poursuivre les efforts. J’aime beaucoup cette phrase « aider un homme, c’est aider l’humanité ».

Il faut être conscient qu’on ne peut pas tout faire, que les besoins sont énormes, qu’on ne pourra pas satisfaire toutes les demandes et que les ressources sont limitées. Si l’on part défaitiste, alors on ne ferait jamais rien. Je pense que s’il y a une petite chance de faire quelque chose, même si c’est petit, il faut le faire.


Cet événement a lancé également la sortie de l’édition française du livre « Navigateur de philanthropie familiale », un guide facile à utiliser pour les familles afin d’initier ou d’améliorer leur parcours en matière de don.

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